Interview de Amal Choury

Une longue culture de la sécurité dans la gestion des données

Le Cloud computing comme vecteur de déploiement économique du Grand-Duché de Luxembourg ? Amal Choury fait partie des convaincus, de ces patrons inconditionnels des nouvelles technologies comme vecteur de croissance. Fondatrice et partner manager de la société e-Kenz – prestataire de solutions « Software as a service » pour les PME du Grand-Duché et de la Grande Région – elle multiplie les engagements personnels pour assurer le rayonnement de ce secteur.

Elle est présidente d’EuroCloud Luxembourg, vice-présidente et secrétaire générale d’EuroCloud Europe et a œuvré au déménagement récent de cette dernière institution de Paris vers Luxembourg. « Le Cloud computing est un vrai enjeu pour l’économie luxembourgeoise en terme de compétitivité et de nouvelles pistes de diversification économique », assure-t-elle en préambule.

Ce qui ne l’empêche pas de bien mesurer les questionnements du moment sur le système : « Le terme Cloud computing est trop souvent utilisé comme un fourre-tout et dénoncé comme une technologie non sécurisée et risquée. Mais de nombreux utilisateurs ne se rendent souvent pas compte qu’ils passent par le Cloud computing lorsqu’ils utilisent les applications Hotmail, Facebook ou encore Youtube.

Néanmoins, beaucoup de questions sont posées : les garanties relatives à la confidentialité des données, la traçabilité des opérations, les risques liés à la perte des données et à la faillite du fournisseur. » Entretien.

Pour avoir créé EuroCloud ?

La société e-Kenz dont je suis l’administrateur-délégué propose des solutions Cloud pour les entreprises, principalement les PME. C’est notre « core business » mais nous travaillons aussi sur des projets classiques S.A.P. (logiciel pour entreprises) en interne ou sur l’outsourcing de plates-formes S.A.P. en mode Cloud. Ceci m’a amenée, en 2010, à être membre fondateur d’EuroCloud Luxembourg. Cette association sans but lucratif représente une quarantaine de sociétés et acteurs luxembourgeois oeuvrant dans la dématérialisation de l’information et dont quelques membres offrent eux-mêmes des solutions Cloud. EuroCloud a pour objectif de regrouper dans un écosystème tous les acteurs de la place luxembourgeoise. Il s’agit de créer des synergies entre tous ceux qui sont concernés de près ou de loin par la dématérialisation de l’information.

C’est-à-dire ?

Nos membres sont des sociétés offrant des solutions Cloud sur le marché luxembourgeois ou européen mais nous comptons aussi dans nos rangs des opérateurs œuvrant dans le même milieu sans donner eux-mêmes des solutions Cloud. Je pense à des bureaux d’avocats spécialisés, à des institutions comme l’Association des banques et banquiers ou la Fedil ou encore à de grands players tels qu’IBM, Deloitte, Pricewaterhousecoopers…

Dans EuroCloud, il y a Europe, pourquoi ?

Parce que, parmi nos objectifs, figure la promotion de la place luxembourgeoise comme opérateur de Cloud en Europe. Nous voulons ainsi dynamiser le marché luxembourgeois du Cloud. Mais nous soulignons aussi que nous sommes membres – fondateur d’ailleurs – d’EuroCloud Europe. Ce dernier, qui comprend 21 pays, s’assigne comme mission de participer au cadre légal, de dynamiser le marché unique européen dans ce domaine et d’interagir avec les acteurs du secteur. Nous sommes fiers, cela dit en passant, d’avoir vu migrer le siège d’EuroCloud Europe de Paris vers Luxembourg en janvier dernier.

L’État luxembourgeois a-t-il joué un rôle de pionnier dans l’implémentation du Cloud sur son territoire ?

Certainement, indiscutablement ! Le Gouvernement a résolument opté pour la diversification économique, le Cloud en fait partie, grâce aux investissements déjà réalisés et à venir en terme de data center, de connectivité, d’infrastructures… Tous ces investissements réalisés ou soutenus par l’État ou ses institutions permettent de faciliter les solutions Cloud au Luxembourg. Aux côtés du Gouvernement qui a joué un rôle primordial au niveau national et européen, nous pouvons aussi compter sur le soutien de la Fedil qui nous supporte en la matière. Soutien aussi des institutions européennes. Lors de nos derniers congrès nous avons pu apprécier la présence du ministre luxembourgeois de l’Économie, d’une commissaire européenne, des représentants de la Fedil… Tout ça pour dire l’intérêt des plus hautes autorités pour le Cloud computing au Luxembourg.

Matériellement comment se présente le Cloud au Grand-Duché ?

L’État a fait œuvre de pionnier en lançant cette politique voici des années en écho à une longue tradition de centre de distribution de contenu, une tradition dans l’hébergement et la diffusion de données. Il y a eu les initiatives de Luxconnect et l’encouragement à la création de data-centers. Résultat des courses, nous avons sur le territoire plus de 10 % de la capacité mondiale en centres de données certifiés « Tier IV » (NDLR : un label certifiant le haut niveau de qualité et de sécurité des outils). Il y en a 26 dans le monde, dont trois sur notre territoire. De plus, le Grand-Duché a l’ambition de devenir leader dans l’ultra haut débit. C’est la vision du Luxembourg dans ce domaine et dans l’ICT en général qui a d’abord contribué à cette belle position. Ensuite, il y a eu toute une série d’efforts dans la connectivité. Il faut préciser également que le secteur financier, leader historique, a inspiré l’ensemble de l’écosystème TIC et Cloud au Luxembourg. La communauté TIC du secteur financier a développé durant des années d’importantes compétences dont profitent aujourd’hui les activités TIC et Cloud, ce n’est pas moi qui l’assure mais Tom Kettels, Conseiller de direction au Service des médias et des communications, pour l’État luxembourgeois.

Bref, tous les investissements ont commencé il y a des années mais ils ont été intensifiés par une vraie politique nationale de diversification économique. Nous avons désormais toute l’infrastructure, tous les ingrédients pour offrir de très bonnes solutions à destination du marché national, européen et mondial.

Le Grand-Duché est-il leader dans ce domaine ?

Au nom d’EuroCloud Luxembourg je peux dire que nous sommes parmi les leaders dans un groupe de pays qui tous ont de grandes ambitions en la matière. Le Grand-Duché se positionne effectivement bien dans ce domaine-là aux niveaux européen et international mais l’excellence n’est pas une action isolée, elle est dans la continuité du service.

Le Grand-Duché a longtemps été considéré comme le coffre-fort de l’Europe, il en devient désormais le coffre-fort numérique. Quel est son intérêt ?

Nous avons une longue culture de sécurité et de confiance dans la gestion des données. Nos infrastructures certifiées nous permettent d’implémenter cette culture aujourd’hui, de conforter ce positionnement « confiance ». Disons, de manière plus vulgarisée, qu’avec nos infrastructures au top mondial nous sommes en capacité de conserver ce leadership, c’est d’autant plus important que la compétition au niveau international est assez présente et assez précoce.

Mais pourquoi est-ce important, le Cloud computing est-il l’économie du futur ?

Ce n’est pas le Cloud computing qui est l’économie du futur, c’est l’ICT (NDLR : Information and communication technologies) en général ! L’État a un plan de diversification de l’économie comprenant notamment la logistique ou d’autres secteurs. Parmi ces secteurs, il a identifié l’ICT en général et le Cloud computing en particulier. Je constate qu’il prend des dispositions pour faire avancer les choses. L’adoption récente de la loi sur l’archivage électronique en est une, elle permet de dynamiser et de sécuriser les affaires dans ce secteur. Je n’ai pas la prétention de dire que le Cloud computing permet à lui seul une diversification, c’est l’ICT en général avec ses branches que sont l’archivage électronique, le Cloud computing etc., qui est source de redéploiement économique.

Et quelle source ! On parle de 3,3 milliards de chiffre d’affaires en 2010, de 15 milliards en 2015, de 80 en 2020… Est-ce bien sérieux ?

Ces chiffres représentent, au niveau mondial, la part de marché générée par le Cloud computing au sens large (software as a service, technologie du Cloud et innovations qui en découlent). Le Grand-Duché souhaite évidemment prendre une vraie part de marché dans ce paquet de milliards.

Quel intérêt une entreprise peut-elle tirer de la gestion de ses données dans le Cloud ?

Dans mon secteur on peut le résumer sur trois axes. Stratégique d’abord : les sociétés peuvent se concentrer sur leur business propre sans se tracasser des aléas liés aux solutions techniques et technologiques. Économique ensuite : la variabilité des coûts fixes est une piste de réflexion de tout patron d’entreprise qui part dans un projet sur 3 à 5 ans, le Cloud lui permet d’avoir une vraie visibilité sur ses futurs coûts informatiques. Technologique enfin : le responsable des données en interne dans la société garde cette responsabilité mais peut en transférer la gestion à un autre prestataire qui va régler les questions de sécurité, d’accès, de back up, de recovery… C’est son business mais sur un modèle contractuel. Ça donne plus de valeur ajoutée aux entreprises.

Vous évoquiez la sécurité, ça reste effectivement « la » question délicate du business du Cloud ?

Oui mais au niveau grand-ducal nous avons pris des dispositions importantes. L’an dernier, l’État luxembourgeois a voté l’article de loi qui garantit la restitution des données par le fournisseur Cloud au client final. Cet article fait désormais partie du Code du commerce des sociétés. Désormais, si un fournisseur Cloud fait faillite, le curateur a l’obligation de restituer les données à l’utilisateur final, le Grand-Duché est d’ailleurs leader dans cette réglementation.

Il a aussi réglementé l’archivage électronique ?

Exact. Début 2013, une loi sur l’archivage électronique a été votée. On peut y ajouter toute la réglementation européenne existante et à venir sur la protection des données personnelles. Le cadre légal est évidemment un plus par rapport à la technologie. Nous avons désormais ce cadre légal. Nous sommes clairement leader dans ce cadre légal ! Au niveau européen et particulièrement au Grand-Duché de Luxembourg, nous mettons tout en œuvre pour être en bonne place sur l’échiquier mondial, pour créer de la valeur ajoutée dans le respect des cadres technologique ou réglementaire, pour acquérir la pôle position dans ce secteur !

Le Cloud computing étant par définition sans frontière, est-ce important pour une entreprise d’avoir un opérateur de Cloud géographiquement proche ?

En fait, avec la qualité des connectivités internationales on pourrait imaginer que ça n’a aucune importance mais en réalité, tout le défi se situe d’un point de vue sécurité car la législation appliquée en cas de problème est bien celle du pays où sont stockées les données. Le stockage d’informations au Grand-Duché de Luxembourg implique que c’est la loi luxembourgeoise qui s’applique en cas de faillite de la société, de défaillance du fournisseur et de souci avec les données stockées. À ce niveau, le cadre légal est organisé de manière à protéger les utilisateurs, donc à les encourager à mettre leurs données au Luxembourg.

Le culte du secret bancaire contribue-t-il à générer une image de sérieux au bénéfice du Cloud computing ?

Je vais renverser votre question car j’œuvre dans le secteur industriel et pas dans le secteur financier. Grâce au secteur financier qui a développé le statut PSF (NDLR : une certification de très haut niveau qui garantit le sérieux des Professionnels du Secteur Financier) le Grand-Duché a acquis une culture où traçabilité, confiance et sécurité des données sont au centre des préoccupations. Aussi, toute la chaîne qui œuvre dans les technologies de l’information et de la communication – quel que soit le secteur précis – a suivi le mouvement. Nous pouvons garantir aux sociétés clientes la sécurité et la protection de leurs données. Dans ce secteur sensible c’est un élément important pour acquérir et cultiver la confiance des clients. Ce statut PSF a bien implémenté une culture de la traçabilité dans le domaine des ICT.