Interview de Alexandre HERMAN

L’e-commerce,  en B2B est notre priorité

Chapellerie Herman… Le nom a fait les beaux jours des modistes et de leurs clients à l’époque où tout le monde sortait couvert. Cela fait près de 140 ans en effet que Justin Herman a lancé un atelier de fabrication de chapeaux et de casquettes à Wellin (Belgique). Cinq générations plus tard, son arrière-arrière petit-fils, Alexandre Herman tient encore le flambeau familial. Avec cette différence fondamentale : on ne fabrique plus rien à Wellin, les machines et les couturières ont quitté les ateliers voici une quinzaine d’années.

Si la production est confiée à des sous-traitants européens et asiatiques, le stylisme, le design, les modèles, l’échantillonnage, le marketing, la vente… restent bien belge, luxembourgeois et français. Car la PME s’est internationalisée : Alexandre Herman a implanté la société de tête à Steinfort au Grand-Duché de Luxembourg mais exploite deux business units : Wellin et Lyon. Au passage, l’entreprise a largement développé sa gamme. « Nous sommes désormais vendeurs d’accessoires headware : chapeaux, bonnets, casquettes, écharpes, gants… en fait, tout le couvrant de la tête et, par extension, des mains », précise Alexandre Herman.

Dans un marché de niche, il joue sur les plates-bandes de Stetson, Borsalino, Panniza, Bailey… Tout en donnant à ses créations un rythme de vie proche des tendances et des saisons, il propose une qualité comparable mais des prix plus abordables pour le consommateur. Un moment tombée en désuétude, la Chapellerie Herman génère à nouveau une vingtaine d’emplois de stylistes, graphistes, modistes mais aussi de spécialistes de la communication. Le négoce de produits traditionnels est-il transposable dans l’e-commerce ? Réponse avec Alexandre Herman.

Comment une société détentrice d’une réputation de 140 ans passe-t-elle le cap du business sur le web ?

On y va progressivement. Pour l’heure, notre site est avant tout informatif. Il permet notamment au client final – le particulier donc – de jeter un coup d’œil sur notre collection mais il ne va pas plus loin. Cependant, nous sommes occupés à le transformer en un site « business to business », à destination de nos clients que sont les détaillants et la grande distribution, pour présenter nos collections, donner un état des stocks, passer les commandes…

Irez-vous au-delà, vers le grand public donc ?

Cela fait partie des réflexions en cours dans les sociétés comme les nôtres : nous développons un canal de distribution B to B mais nous nous rendons compte que c’est le modèle « B to C » (business vers le consommateur) qui est générateur de marges. C’est le modèle « Zalando », celui qui permet de faire de l’argent aujourd’hui. D’un autre côté nous pourrions courir un risque : nous mettre à dos notre clientèle historique.

Précisément, où en êtes-vous ?

Sur base de notre vitrine site Internet et de notre logiciel de gestion Mercator, nous sommes occupés à créer une vitrine-magasin qui mettra en relation la chapellerie Herman et ses détaillants. Nos clients pourront ainsi voir les stocks, passer et suivre leurs commandes, surveiller les produits les plus populaires…

Ce site correspondra à vos besoins ou à ceux des détaillants ?

Ça va dans les deux sens. Il nous aidera beaucoup dans l’encodage des commandes, nous pourrons ainsi éviter tout ce travail de back-office. Par ailleurs, ça répond à la demande de certains magasins mais qui aiment faire confiance à des professionnels pour des produits souvent un peu marginaux dans leurs rayons.

Un peu marginaux ?

Vous savez, des magasins exclusivement spécialisés en chapellerie, ça ne court plus les rues. Notre client type c’est le magasin de sport d’hiver en France, qui vend tout le matériel et toutes les fringues autour du ski alors que le petit bonnet c’est accessoire. Néanmoins, il sait qu’il fera de belles marges sur nos produits donc il les suit très volontiers. Le plus qu’on peut lui apporter c’est de pouvoir passer commande très facilement. C’est en ce sens que le site B to B répondra vraiment à sa demande.

Quelles sont les qualités d’un site B to B ?

Ce sont les mêmes que pour un site B to C ou un site-vitrine : il doit être relativement clair, on doit pouvoir très rapidement y trouver ses marques et surtout être pris par la main. Si vous tombez sur une usine à gaz où il vous faudra un quart d’heure pour apprendre le fonctionnement, vous allez vite laisser tomber et passer à la concurrence… Les clients aujourd’hui sont devenus plus volatiles, ils changent vite de fournisseur. Cela étant, nous avons la chance de ne pas avoir énormément de concurrents. Mais à un moment donné, s’il y a une branche du commerce qui se fait par ce biais, ne pas la suivre serait ridicule. La question n’est plus de savoir si on va le faire mais comment on va le faire.

Tous vos clients vous suivront dans cette démarche ?

Si nous étions dans un autre secteur d’activité, comme l’informatique par exemple, nous y serions à 100 % depuis longtemps. Dans notre métier cependant, c’est un peu plus lent car à côté des boutiques de sport ou de mode nos autres clients types sont des petits magasins indépendants traditionnels, souvent tenus par un couple. Ils n’ont pas tous Internet et ne s’y intéressent d’ailleurs pas. Cette situation est très courante en France, qui est d’ailleurs notre marché numéro un. Là, plus de la moitié de notre clientèle B to B ne veut pas entendre parler d’Internet, elle sait que ça existe mais elle ne veut pas basculer vers ce type de business. De notre côté, c’est clair, nous ne pouvons pas les laisser tomber en leur imposant un mode de commande électronique. Nous conservons donc une équipe de représentants et une permanence téléphonique.

On ne vend pas non plus des chapeaux comme des téléphones portables…

Exact, certaines réticences sont aussi liées au fait que nous sommes dans un métier où le toucher est important. Acheter des cartouches d’encre ou un iPhone par Internet c’est facile, mais acheter sans le voir un produit qu’on va mettre sur sa tête une ou plusieurs saisons… c’est plus délicat. Dans un métier où la clientèle (le détaillant et le client final) aime voir et toucher le produit, le passage au B to B par le web est un gros challenge. Notre défi – mais aussi notre opportunité car ça nous permet d’élargir la cible – c’est de maintenir le canal classique parallèlement à Internet. Par ailleurs, nous nous rendons compte que nos clients sont de plus en plus demandeurs d’informations sur les tendances du moment alors qu’ils sont en première ligne. Il y a une demande de conseil et c’est ce qui nous amène vers le B to C.

Le client est versatile mais en réalité il ne change pas facilement car la concurrence est rare dans votre secteur. Cela ne vous incite-t-il pas à ouvrir la vente en ligne au grand public ?

C’est exactement ce qui est au cœur de notre réflexion. D’autant que notre site vitrine nous amène des clients cherchant à résoudre des problèmes de stock chez leur détaillant. Nous avons un tel choix, une telle largeur et profondeur de gamme que nos détaillants ne peuvent tout mettre dans leurs rayons. Chaque jour je reçois des mails de consommateurs qui ne trouvent pas dans le commerce réel tel modèle, dans telle taille ou telle couleur. Le souci c’est que hormis lui renseigner un autre détaillant, je ne peux rien faire pour lui car il m’est impossible de mobiliser quelqu’un interne pour sensibiliser le son magasin à l’absence de ce modèle dans ses rayons. C’est d’autant plus frustrant que j’ai le produit sous la main dans mon entrepôt… C’est la quadrature du cercle qui se présente à nous aujourd’hui. J’y ajoute un élément financier : ce que j’achète « un » je le revends « deux » mais la boutique, elle, avec les marges très importantes du secteur de l’accessoire, le revend « cinq » ou « six ». Il y a donc une marge à aller chercher, laquelle permet de dépenser de l’énergie pour individualiser une commande et l’expédier par la poste.

Mais ça suppose une réorganisation du travail !

Complètement ! Et c’est très compliqué dans le sens où, aujourd’hui, nous nous faisons du « boxe moving » : nous manipulons et expédions des cartons de plusieurs dizaines de pièces. L’investissement temps pour gérer 100 pièces et les envoyer au prix marginal est le même que pour gérer une pièce et l’envoyer au particulier. Ça suppose donc une réorganisation du travail en interne plutôt compliquée mais certainement pas impossible. D’autres sociétés l’ont fait avant nous, nous n’allons donc pas réinventer la roue mais ce serait un bouleversement supplémentaire.

Vous en êtes toujours au stade de la réflexion ?

Moins que cela, nous en sommes au stade de la tentation, car nous sentons un appel d’air. Nous sommes hésitants pour plusieurs raisons. D’abord, pour protéger notre réseau de revendeurs, nous ne nous sommes jamais positionnés de cette manière, nous n’avons d’ailleurs jamais ouvert de magasin physique à une époque où nous aurions pu le faire. Ensuite, beaucoup de clients nous mettent la pression avec des propos du genre : « J’espère que vous n’allez pas nous pirater en faisant de la vente en ligne, on n’apprécierait pas… ». Enfin, il est évident qu’il y aurait des dégâts collatéraux mais assez ironiquement ils se produiraient dans les sites actuels d’e-commerce : ils achètent déjà chez nous et sont parmi nos plus gros clients. Leur message à eux, c’est « Laissez-nous faire notre métier, n’essayez pas de vous y frotter…

Vos clients vendent donc vos propres produits en e-commerce ?

Bien entendu, c’est de plus en plus répandu au départ de petites boutiques physiques très branchées mais aussi au départ de sites exclusivement consacrés à l’e-commerce : le numéro un de la vente en ligne d’accessoires est un de nos très gros clients.

Avez-vous pensé à organiser la vente en ligne différemment en fonction des pays et de votre présence ou pas ?

Travailler par pays sur un concept de vente qui par définition est hors frontière c’est au premier abord assez illogique. Mais c’est une piste à explorer. Nous sommes en pleine réflexion sur le sujet, je le répète.

Êtes-vous actifs sur les réseaux sociaux ?

Depuis que nous avons créé une structure à Luxembourg, nous avons engagé un spécialiste de communication, il gère tout ce qui touche au marketing et aux réseaux sociaux. Il vient d’ailleurs de créer une page Facebook qui génère un peu de trafic mais nous sommes encore loin de certaines sociétés qui ont des équipes complètes affectées faire vivre leurs pages Facebook. C’est quelque chose que nous pourrions développer car c’est via les réseaux sociaux et les référencements naturels qu’ils créent que l’on peut générer du trafic sur un site d’e-commerce. Néanmoins je veux être très clair : aucune décision n’est prise à ce sujet, nous restons au stade de la réflexion-tentation.