Interview de Xavier Goebels

L’e-commerce, une menace… liée à une opportunité

On ne présente plus Point Carré, en tout cas plus en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg. Point Carré, c’est la success story à l’américaine de Xavier Goebels. Un premier magasin de vêtements ouvert dans une petite ville d’Ardenne en 1995… Vingt-cinq points de vente et 200 collaborateurs aujourd’hui ! Avec chaque fois les mêmes ingrédients : implantation dans des zones semi-urbaines, dernières tendances de la mode et concept multi-marques. Point Carré apporte dans des zones semi-urbaines boudées par les grandes enseignes, un accès aux tendances fashion du moment. Désormais, le groupe au logo vert pomme et aubergine, colle à l’évolution du marché, suit de près les tendances de consommation et s’est imposé, lentement mais sûrement, comme un interlocuteur incontournable des faiseurs de mode. Y compris dans l’e-commerce ? Réponse avec Xavier Goebels, CEO du groupe Point Carré.

Alors que l’e-commerce envahit le secteur du prêt-à-porter, cela perturbe-t-il votre développement ou jouez-vous le jeu ?

On rentre dans le jeu bien entendu ! Je ne nie pas que l’e-commerce perturbe les règles habituelles du secteur mais c’est le cas pour tout le monde. Nous, nous avons choisi de faire avec ces nouvelles données. Disons que c’est un élément extrême qui s’invite dans le secteur mais nous devons essayer de nous en imprégner avec l’objectif de devenir, à notre tour, acteurs d’e-business.

Précisément, une PME de votre taille peut-elle s’imposer dans un secteur trusté par des multinationales ?

Tout à fait, mais nous devons sans cesse adapter notre stratégie. Ce qui est important c’est de bien identifier les menaces potentielles, de voir ce qui est à notre disposition, d’imaginer dès à présent ce qui poussera nos clients à acheter chez « Point Carré online » lorsque nous serons réellement opérationnels. Nous avons toute une démarche intellectuelle à mettre en place pour travailler avec l’outil Internet en sachant qu’il y aura des avantages et des inconvénients pour les consommateurs, en sachant aussi qu’à mon sens, les boutiques physiques auront toujours une raison d’être. Aujourd’hui, nous savons que nous ne devons absolument pas négliger cette nouvelle composante.

Où en êtes-vous dans cette stratégie d’e-commerce ?

Pour l’heure, nous sommes en phase de test. Le plus important, c’est d’organiser le système de communication en interne, d’acquérir les bons outils informatiques de manière à ce qu’ils soient compatibles avec ces nouvelles pratiques, de mettre en ligne un site d’e-commerce efficace. Parallèlement, nous devons travailler notre présence sur les réseaux sociaux car nous savons qu’ils ont un impact non-négligeable. Nous devons aussi travailler nos cibles, identifier les besoins des consommateurs par rapport à leurs exigences en magasin. Nous commencerons avec des offres ponctuelles, faciles à gérer, progressivement car nous n’avons pas de centre logistique alors qu’à grande échelle ce type de commerce engendre des coûts logistiques non négligeables.

Ce passage obligé est-il porteur de chiffre d’affaires accru ?

C’est en tout cas pour nous une opportunité de capter d’autres marchés. Je pense notamment à de nouvelles marques propres que nous pourrions vendre sur le web en plus de nos magasins physiques. Je pense aussi à des marques que nous ne distribuons pas – ou seulement dans quelques-uns de nos magasins – et que nous pourrions, via l’e-commerce, offrir à l’ensemble de notre clientèle. Enfin, le web est une occasion de mutualiser nos stocks : nous le faisons déjà de manière physique entre nos différents points de vente mais ici nous pourrions proposer au client de faire livrer chez lui ou dans le magasin de son choix la pièce qu’il n’aurait pas trouvée dans sa boutique préférée. Avec notre réseau, le client aurait aussi l’avantage de pouvoir retourner les pièces qui ne lui conviendraient pas dans un magasin physique. Les gens ont encore, je pense, besoin de sécurité à ce niveau-là.

C’est un autre métier l’e-commerce ?

Ça reste un métier de distributeur mais avec une autre approche. L’expérience client est extrêmement importante, comme dans nos points de vente, mais l’approche est un peu différente. Ça demande une vraie démarche pro-active, très particulière par rapport à ce défi.

Pour vous c’est plutôt une opportunité ou une menace ?

C’est une menace… liée à une opportunité. Une menace car les nouveaux acteurs comme Zalando et d’autres sont capables, avec des moyens financiers supérieurs aux nôtres, de pénétrer sur le marché belge en se présentant sur différents canaux de communication (pubs TV ou radio, banners sur site web etc.) mais en travaillant au départ d’une base relativement éloignée de chez nous. De plus, ils jouent les « pure players », c’est-à-dire qu’ils ne sont actifs que sur internet. Enfin il faut savoir que du point de vue capitaux, ces grands acteurs n’ont rien à voir avec nos moyens : ils bénéficient de levées de fonds importantes et peuvent se permettre de perdre de l’argent durant quelques années. Voilà donc pour la menace… mais pour nous c’est bel et bien également une opportunité. Je la définis comme ceci : l’e-commerce nous permettra de distribuer nos produits différemment à destination des générations actuelles mais aussi des suivantes qui, elles, seront les leaders en matière d’outils et de commerce électroniques. Nous savons d’ailleurs qu’au-delà de l’e-commerce en soi, notre nouveau défi sera de le maîtriser avec des applications pour smartphones et autres appareils mobiles. Ces petits outils très conviviaux engendreront une autre façon de consommer au départ de notre stock ou d’actions commerciales. Notre opportunité c’est de réussir sur le « multi-canal », c’est-à-dire que nous devrons être capables de vendre nos produits aussi bien dans nos boutiques physiques, que via un ordinateur domestique ou des appareils mobiles en temps réel.

Le retailer que vous êtes se doit-il d’être présent sur les réseaux sociaux ?

Nous, nous en avons en tout cas fait le pari. Nous avons d’ailleurs fait le choix de travailler avec des agences spécialisées dans ce secteur afin de nous doter de moyens supplémentaires pour communiquer avec notre réseau de consommateurs. Avec 56 000 fans sur Facebook au printemps 2013, nous sommes dans le top deux des retailers free style en Belgique. Du point de vue du nombre de fans et de l’activation de posts, nous sommes, au niveau de notre pays, devant d’autres acteurs tels que H&M. Cela étant, cette seconde place, nous ne l’avons pas obtenue sans mal, ni sans investissement ! Nous prenons en effet des dispositions pour faire vivre la communauté à travers des concours et d’autres actions, avec l’objectif de pousser les consommateurs à nous rejoindre. En interne, nous avons des employés qui gèrent ces aspects au quotidien. Nous suivons l’évolution technologique : après avoir été extrêmement présents sur Facebook, demain nous ouvrirons un site d’e-commerce. A nous désormais de convertir tous nos fans en consommateurs, qu’ils deviennent fans d’un point de vue économique également…

La valeur d’une entreprise comme Point Carré tient-elle autant au chiffre d’affaires qu’à l’e-réputation ?

Clairement ! Et Facebook y contribue de manière importante. Être numéro deux est primordial !

Après l’e-commerce, l’e-recrutement sera-t-il la prochaine étape ?

Pour l’heure, c’est très timide mais je constate que des candidats à un emploi postent déjà leur CV sur Facebook. Par ailleurs, nous mettons des recherches d’emploi sur internet. Ça se limite à ça pour l’instant mais plus nous allons avancer, plus nous pourrons utiliser ce canal également pour recruter notre personnel.

Les PME de manière générale semblent assez peu branchées sur e-commerce, pourquoi à votre avis ?

C’est un problème géographique d’abord : le marché belge, par rapport à ses compétiteurs de périphérie, est un peu en retard en matière d’e-commerce. C’est sans doute dû à la complexité du pays avec ses différentes régions et différentes langues. De plus, le pays est très bien équipé du point de vue du nombre de retails par nombre d’habitants, ce qui induit une diversité d’offres.

En réalité, la Belgique a été pionnière dans l’Internet mais elle s’est fait rattraper sur l’e-commerce. Pourquoi ? Parce qu’elle fait face à de très gros acteurs avec de gros moyens dans les pays voisins. En terme de flux on s’aperçoit que les consommateurs belges achètent beaucoup sur les sites des pays voisins comme l’Allemagne, la France, la Hollande. De plus, les consommateurs des sites belges viennent aussi des pays voisins, donc on ne constate pas de grosse tendance belgo-belge sur les sites nationaux. Il y a quelques beaux acteurs en Belgique mais les grosses pointures se trouvent de l’autre côté des frontières.

Utilisez-vous le système « clics payants » de Google ?

Pas encore, car nous sommes toujours en phase de test par rapport à l’e-commerce mais nous sommes en train d’y réfléchir. Par contre, au niveau des médias sociaux ce sont des choses que nous utilisons. Clairement Facebook est une porte d’entrée vers l’Internet et l’e-commerce. Ses concepteurs ont développé des modules d’e-commerce que nous n’utilisons pas encore. Néanmoins, ils proposent des modules commerciaux dont nous usons pour publier des offres ou renvoyer des demandes vers les magasins physiques. Mais on peut aussi « sponsoriser » des publications sur Facebook, pour cibler les amis, les amis des amis, les fans d’une marque précise ou d’un domaine… Un exemple : récemment, nous avons organisé un concours dont le prix était une Audi A1. Nous l’avons poussé sur les fans d’automobile, les fans d’Audi, les hommes mais aussi les fans de mode et bien entendu les amis de Point carré. Ce type de publications est payant mais ça « paye » : elles permettent de doper l’audience et faire du recrutement de fans. Bref, techniquement nous sommes prêts et nous avons une plate-forme qui fonctionne bien, qui est digne d’un grand acteur. Par contre, en raison de notre métier multimarques, nous devons encore affiner la stratégie produit et notre position avant de passer à l’étape supérieure.

Aujourd’hui, si vous deviez choisir, privilégierez-vous l’investissement dans une vitrine virtuelle ou réelle ?

Virtuelle ! En sachant néanmoins que nous allons encore ouvrir quelques magasins d’ici un an ou deux, que nous continuons à avancer dans ce sens mais que nous allons effectivement réellement investir dans l’e-commerce.   